Contre toute attente, je ne mettrai pas de note à ce documentaire, comment cela serait-il possible? Dans Une Famille, il est question de souffrance, une souffrance omniprésente, celle qui gangrène l’âme et ne laisse qu’une terre brulée.
La plume de Christine Angot a été prolifique pour le cinéma (Pourquoi le Brésil, Un amour impossible, Avec amour et acharnement…). Cette fois, c’est l’autrice elle-même qu’on accompagne (sous l’œil de la caméra bienveillante de Caroline Champetier) sur les terres de son enfance pour y rencontrer son public, mais aussi pour renouer avec ses racines familiales, ou ce qu'il en reste.
Après quelques minutes, le couperet du mot tombe, abrupt, glacial: inceste. Comme dans toute son œuvre, Angot aborde cette thématique qui la ronge, comment pourrait-il en être autrement, son statut de victime n’ayant jamais été reconnu. C’est de cette quête dont il est question et du pourquoi personne n’a protégé l’enfant, puis la jeune adulte qu’elle était.
Première confrontation brutale avec sa belle-mère désormais octogénaire et qui n’a jamais voulu entendre les crimes de son défunt mari, des faits dont les premiers remontent pourtant à 50 ans alors que Christine n’était âgée que de 13 ans. Ces «je ne veux pas savoir (…) ce n’est pas l’homme que j’ai connu» sont autant de coups de couteau qui frappent en plein cœur.
La souffrance de Christine est alors palpable, ses membres tremblent, lâchent, ses jambes ne la soutiennent plus, son corps entier crie et ne rencontre qu’un mur d’indifférence. Oui, c'est dérangeant, impudique, intrusif et oui, il est plus facile de détourner le regard, de feindre l'ignorance. Mais c'est précisément ce que le documentaire dénonce: cette surdité collective face à l’inconcevable.
Lui, comme elle le nomme, on ne le verra qu’une seule fois en photo.
Ces moments pris sur le vif sont entrecoupés d’images d’archives privées, montrant des moments de bonheur du couple qu’elle formait avec Paul mais surtout de leur fille Eléonore, de ce que devrait être une enfance emplie d’insouciance, de sourire, de joie, de ce dont on l’a privée.
Connue pour l’intransigeance et la dureté de son écriture et de son caractère qui lui ont valu bien du mépris, on comprend mieux désormais cette brutalité, reflet du double traumatisme subi et l’urgence de la quête de reconnaissance importante dans tout processus de reconstruction. Qu’on apprécie ou pas le personnage de Christine Angot, ce documentaire nous permet de mieux le comprendre.
Une Famille est un film bouleversant, tendu, douloureux mais ô combien nécessaire qui brise le silence sur un sujet encore trop tabou. Christine Angot, avec un courage admirable, nous confronte à la réalité brutale de l'inceste, à ses effets dévastateurs et surtout aux mécanismes de silence et de complicité qui l'accompagnent. Un film qui ne peut laisser indifférent, un film qui se vit, véritable témoignage d'une survivante.
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