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L’odyssée d’une femme solaire
The Perfect Candidate aurait pu n’être qu’un événement, ou, pire, une simple curiosité – ce n’est pas tous les jours qu’il est donné de voir dans nos salles un film tourné par une Saoudienne –, mais il n’en est rien : c’est une œuvre parfaitement maîtrisée, menée non sans un talent certain.
Les deux séquences ouvrant The Perfect Candidate constituent en soi tout un symbole, et témoignent, à elles seules, d’un talent certain. Première séquence : on voit une jeune femme portant certes un niqab d’un noir de jais – ce qui peut s’apparenter à un joug –, mais une femme conduisant une voiture, de surcroît, une voiture qui est loin de passer inaperçue : elle est d’un bleu vif, éclatant – on peut y voir, là, une volonté de briser le joug. Une femme au volant, donc. Or, on se trouve en Arabie Saoudite, pays où les femmes n’ont le droit de conduire que depuis 2018. Cette femme, c’est Maryam, jeune médecin qui se rend sur son lieu de travail, le Al Hana Medical Center. On en arrive à la séquence suivante : on amène un vieil homme blessé. Il renâcle, oppose de la résistance : il refuse obstinément qu’une femme se charge de le soigner. Le ton est donné.
Mais il faut porter plus loin son regard : on verra alors que cette séquence est d’une remarquable intelligence, pleine d’une subtile ironie. Oui, car si le personnage du vieillard refuse de se faire soigner par une femme, l’acteur incarnant ce vieillard se fait, lui, diriger par une femme : Haifaa Al Mansour, la réalisatrice saoudienne de The Perfect Candidate.
Maryam vit avec ses deux sœurs, Selma et Sara, et son père Abdulaziz, artiste, musicien plus précisément. Un homme libéral, situé aux antipodes de l’extrémisme religieux. Un homme doux, presque effacé, mais qui ne manque jamais de soutenir ses enfants et leurs projets. Le film fait la part belle aux femmes, en vérité : ce sont elles qui irradient cette admirable œuvre de fiction. Maryam en particulier, bien entendu : elle est celle qui tient le rôle principal, l’héroïne. Solaire, fougueuse, indomptable et indomptée, ainsi est-elle. Elle se battra, infatigablement, avec un zèle remarquable, contre l’obscurantisme.
Nous pensons pertinent, ici, de mettre en parallèle The Perfect Candidate et deux autres films récents, Papicha et Mustang : en effet, dans ces derniers, également réalisés par des femmes, les femmes, algériennes ici, turques là, constituaient, au même titre que les trois sœurs saoudiennes de The Perfect Candidate, de véritables fanaux au cœur des ténèbres, d’une étouffante société conservatrice, patriarcale – dans le plus mauvais sens du terme.
Maryam devra se battre, donc. En réalité, elle ne demandait qu’une chose, très simple : que la route d’accès à la clinique où elle travaille soit bitumée. Seulement, elle a essuyé un refus. Qui plus est, alors qu’elle devait se rendre à Dubaï pour assister à la conférence d’un médecin, on lui signifie, au moment du check-in à l’aéroport, que son autorisation de voyage a expiré. Que faire, alors ? Loin de se laisser réduire au silence, la jeune femme va remuer ciel et terre pour faire entendre sa voix. La voilà lancée dans une véritable odyssée.
Bientôt, elle annonce à ses deux sœurs qu’elle se présentera aux élections municipales. Ces dernières tentent de la dissuader : elle est médecin, elle n’a aucune connaissance en matière de campagne électorale. Maryam lance alors ces mots poignants, qui résument parfaitement la situation : « Ce n’est pas la campagne électorale qui m’importe, ni le fait de la gagner, mais juste la voie d’accès à la clinique. » Un peu plus tard, elle annonce la même nouvelle à des collègues : elle se présentera aux élections municipales. Sa priorité ? Bitumer la voie d’accès à la clinique. Elle s’y accrochera avec détermination, envers et contre tout, à ces mots et à ce qu’ils représentent, ce sera là comme son mantra, son étendard.
Finalement, sa candidature est acceptée. Elle compte montrer qu’elle est « plus que la fille d’une chanteuse de mariage. » Cette « chanteuse de mariage », c’est Badria. Elle est certes absente – et pour cause : elle est décédée –, mais omniprésente néanmoins : elle est souvent évoquée, que ce soit par ses filles ou par le veuf Abdulaziz. On entendra par ailleurs la voix de Badria, par le biais d’une cassette audio. Et puis il y a cette très belle scène de complicité entre Maryam et Selma. Elles chantent ensemble, dans la nuit, une chanson que leur chantait leur mère, pour les apaiser. Scène à la fois solaire – les jeunes femmes rayonnent tout en chantant – et triste – Maryam manque de pleurer, en pensant à leur mère.
Au cours de cette scène marquante, Maryam résumait ainsi ses ambitions : « Je veux juste un travail convenable. » Ni plus ni moins. Mais pour cela – répétons-le –, elle va devoir se battre farouchement, férocement, plonger dans l’univers de la politique, s’exposer publiquement, risquer de détruire notamment la vie, le futur de Sara – c’est ce que craint cette dernière –, bousculer la société dans laquelle elle vit, hideusement conservatrice, patriarcale – « La place des femmes est à la maison. », ne manquera-t-on pas de lui dire.
On aura certainement compris, à travers cette critique, que la musique joue un rôle important dans The Perfect Candidate. Durant le générique, déjà, on entendait le son d’un oud, un instrument à cordes ressemblant plus ou moins à une mandoline. Le son de cet oud, à vrai dire, débordait le générique pour accompagner Maryam, durant la première scène du film, celle où on la voit conduire. L’oud ne représente-t-il pas – au même titre que la voiture – une volonté de briser le joug, de s’émanciper, une sublime forme de résistance à l’obscurantisme, à la tyrannie ? Cette phrase entendue au cours du film semble le confirmer : « Les radicaux détestent l’art. » Abdulaziz, le père de Maryam, joue de cet instrument à la perfection. On jurerait entendre, accompagnant Maryam au volant de sa Hyundai bleue, la voix d’Abdulaziz lui disant ces mots : « Vas-y, ma fille, bats-toi, je serai toujours avec toi, jusqu’au bout, bats-toi ! »
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