Ci-dessous, nous vous publions tel quel le mail que l'on a reçu de la part de Fonction Cinéma.
Suite aux récents articles parus dans le Blick, La Tribune de Genève et Le Courrier, il convient de revenir sur les défis et les difficultés que rencontre actuellement la branche.
Que se passe-t-il exactement pour que des professionnels choisissent de dénoncer anonymement des collègues dans la presse, remettant en cause leur probité et insinuant qu’une institution telle que Cinéforom favoriserait le copinage et la complaisance ?
Il est essentiel de rappeler ici que financer un projet de film a toujours été un parcours long, complexe et incertain. Or, ces dernières années, les conditions-cadres de financement se sont considérablement durcies et les perspectives actuelles sont particulièrement inquiétantes pour les professionnels du secteur.
Plusieurs facteurs expliquent cette crise. Tout d’abord rappelons les attaques politiques répétées contre la SSR. En effet, des mesures d’économies de plusieurs dizaines de millions de francs ont déjà été opérées ces dernières années par la SSR, conséquence directe de la baisse importante des recettes publicitaires. La votation prévue en 2026 « 200 francs, ça suffit ! », qui vise à réduire encore plus drastiquement la redevance, pourrait fragiliser davantage le Pacte de l’audiovisuel, l’un des trois piliers indispensables au financement des films indépendants.
À cela s'ajoute un nombre croissant de projets déposés aux fonds sélectifs de Cinéforom et de l’OFC (+ 30 %), entraînant mécaniquement plus de refus, et donc un nombre accru de professionnels déçus et mécontents.
Pour aggraver encore cette situation déjà tendue, de nouvelles missions ont été attribuées à l’OFC et à Cinéforom par les pouvoirs publics, sans qu’aucune ressource financière supplémentaire ne soit accordée. Ainsi, les moyens nécessaires à ces nouvelles missions (comme les aides au numérique ou la promotion des films en Suisse) seront financés sur les aides sélectives existantes, ce qui engendrera une perte annuelle d’un million de francs pour la production audiovisuelle.
Cette manière de procéder des pouvoirs publics laisse entendre qu’il y aurait suffisamment, voire trop, d’argent destiné à la production des films. Ce raisonnement est non seulement faux, mais il crée aussi des tensions considérables entre les différents acteurs professionnels. En « déshabillant Paul pour habiller Jacques », les pouvoirs publics participent ainsi activement au climat délétère qui règne actuellement dans notre branche.
Ces décisions apparaissent d’autant plus incompréhensibles que l’aide sélective n’a pas été augmentée depuis de nombreuses années. Or, en tenant compte de l’inflation et des nouvelles responsabilités imposées aux producteurs (dispositifs de prévention du harcèlement, tournages plus écologiques, etc.), les films coûtent objectivement plus cher à produire aujourd’hui qu’hier. Ainsi, en soi, la stagnation des ressources financières constitue déjà une perte réelle pour la production.
Dans ce contexte, la perspective d’un million de francs retirés de l’aide sélective de l’OFC ne peut que provoquer une vive inquiétude de l’ensemble de la branche. Chaque professionnel pense alors individuellement, avec anxiété, à sa survie et aux difficultés croissantes de vivre de son métier.
À cela s’ajoute encore un grave problème de fonctionnement au sein de la section cinéma de l’OFC : des délais de traitement de dossiers dépassent parfois trois mois, y compris pour les versements aux projets déjà financés. Cette situation désorganise profondément la production sans que des mesures pour y remédier ne soient envisagées, comme si ce défaut de prestation de la section cinéma de l’OFC ne constituaient pas un réel problème pour la branche et le travail de production.
Les perspectives pour Cinéforom ne sont guère plus encourageantes : les demandes d’augmentation budgétaire présentées aux cantons romands pour les années à venir n’ont malheureusement pas été entendues. Or, les chiffres démontrent clairement que les soutiens apportés par Cinéforom aux projets sont désormais moins significatifs, affaiblissant considérablement l’effet amplificateur prévu à la création de cette institution et rendant encore plus difficile la finalisation du financement des films.
La pression exercée sur les aides sélectives est telle qu’actuellement de nombreux projets solides ne peuvent réunir les trois piliers nécessaires à leur financement. Les producteurs se retrouvent confrontés à des projets sous-financés et à une impasse extrêmement difficile à surmonter sans affecter les salaires, alors même que l’ARF a négocié avec difficulté une nouvelle grille salariale indicative pour revaloriser les rémunérations des techniciens et des réalisateurs afin de compenser partiellement l’inflation qu’ils et elles subissent.
Un autre signe de ce climat délétère : certains producteurs alémaniques ont dénoncés par écrit à l’OFC et de façon répétée la prétendue surreprésentation des Romands dans l’attribution des fonds de l’OFC, alimentant ainsi une division dangereuse et stérile entre les régions linguistiques. Ce genre d’attaques affaiblit davantage la solidarité nécessaire à une défense efficace des intérêts communs de la branche.
Dans ce contexte morose, marqué par la perspective d’une dégradation des conditions-cadres pour la production, le pire des scénarios se réalise :
Des voix s’élèvent pour dire « qu’il y a trop de films produits ».
Des courriers adressés à l’OFC sans préavis, sans échanges au sein des syndicats nationaux, par un groupe de producteurs zurichois contre les Romands.
D’autres voix s’attaquent publiquement à la qualité de l’ensemble du cinéma suisse, le jugeant « trop peu grand public » ou choisissent malheureusement la division et les dénonciations anonymes, en insinuant des faveurs indues et des conflits d’intérêts.
Bref, une foire d’empoigne tragique, une forme d’anthropophagie parfaitement malsaine et mortifère. Quel but poursuivent ces pratiques ? Éliminer des concurrents pour assurer sa propre survie ? Cette voie est clairement sans issue…
Alors qu’un indicateur démontre que le secteur n’est pas accompagné comme il se doit par les pouvoirs publics : en 2024, le succès très important des films en salle et dans les festivals a contraint l’OFC à revoir à la baisse le montant de la bonification annuelle par film de Succès cinéma. Cette situation souligne avec force la capacité des producteurs suisses à réaliser des films de qualité rencontrant le public, ainsi que celle des distributeurs suisses à assurer leur promotion.
En fait la réalité est claire : la source de nos difficultés est que nous manquons aujourd’hui cruellement de moyens financiers pour accompagner et soutenir adéquatement le dynamisme et la diversité de la production suisse.
L’OFC semble adopter une gestion de la crise en dégradant volontairement les conditions d’attribution des aides :
Les commissions d’évaluation se tiendront désormais en visioconférence, limitant les échanges.
Un seul dépôt sera autorisé par projet, réduisant les opportunités pour les producteurs de pouvoir retravailler leur dossier et d’obtenir des financements.
Une orientation artistique s’impose insidieusement, avec une préférence pour les films dits "de famille" et des œuvres plus consensuelles, au détriment de la diversité créative.
L'exclusion des films suisses du PICS.
L'abaissement du point du Téléfonds.
Face à ces sombres perspectives, une seule stratégie valable existe pour améliorer le sort de la branche : nous unir afin de revendiquer davantage de moyens auprès des autorités politiques, tant au niveau des cantons que de la Confédération.
Remettre publiquement en cause l’intégrité et le bon fonctionnement de nos systèmes d’attribution ne profitera à personne. Les multiples plaintes déposées contre Cinéforom, dont certaines ont été jugées jusqu’au Tribunal fédéral, n’ont jamais abouti, preuve que le système fonctionne avec intégrité. Jeter le soupçon et l’opprobre sur Cinéforom fait le lit de celles et ceux qui clament haut et fort et à tort, depuis des années, que le cinéma suisse ne mérite pas les investissements consentis.
Enfin, les promesses faites par les politiques qui utilisent la « Lex Netflix » pour nous assurer que de l’argent va inonder la branche, ce qui rend inutile le renforcement de l’aide sélective de l’OFC et de Cinéforom, sont un leurre. Nous savons que les plateformes privilégieront des formats spécifiques tels que séries documentaires « low-cost » sur des faits divers et des séries de fiction, sans investir significativement dans le cinéma d’auteur ou le documentaire de création. Nous ne pouvons donc pas compter sur ces nouveaux acteurs pour remplacer le financement public.
Certes, nous avons peut-être des modifications structurelles à apporter à notre système des trois piliers et à leur interdépendance au vu des changements qui s’annoncent inéluctables. Mais avant cela, nous devons nous rassembler et agir tous ensemble pour préserver la vitalité du cinéma suisse.
Fonction : Cinéma œuvre en lien avec les syndicats nationaux pour trouver un chemin commun et porter des propositions et des revendications qui permettront de freiner autant que possible la péjoration des conditions de production pour le cinéma suisse.
Nous appelons tous les acteurs et toutes les actrices du milieu à se mobiliser pour porter ensemble cette cause auprès du monde politique.
L’heure n’est pas à la division, mais au rassemblement !
Fonction : Cinéma
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