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En quête du Graal
Aventure hors-norme, film magnifique, invitation à poser un regard différent sur notre monde, un regard plus sain, empreint de lumière : La Panthère des neiges est un ravissement.
Trois artistes portent La Panthère des neiges : la cinéaste Marie Amiguet, le photographe animalier Vincent Munier et l’écrivain-voyageur Sylvain Tesson. À ces trois artistes, il faut ajouter les musiciens : Warren Ellis et Nick Cave signent une très belle bande originale.
Après le livre éponyme de Tesson, issu de son expédition tibétaine aux côtés de Munier, paru en 2019, couronné par le prix Renaudot, on attendait non sans impatience le long métrage de Marie Amiguet et Vincent Munier. La Panthère des neiges est une aventure hors-norme, un film magnifique, une invitation à poser un regard différent sur notre monde, à contempler, à s’émerveiller, à être, en un mot, en un maître-mot, à l’affût. L’affût : à l’origine, il s’agit du « moment de la chasse où l’on guette le gibier » – c’est ce que nous indique le dictionnaire. Un terme de chasse, donc. Mais ici, il est question de chasse photographique : mitrailler les animaux, non pour les tuer, tout au contraire pour les immortaliser, pour les célébrer, eux et la beauté, par le biais de la photographie. Le cinéma (la caméra de Marie Amiguet) et l’écriture (la plume de Sylvain Tesson) prêtent main forte à l’objectif de Vincent Munier – une trinité qu’il convient de saluer : le résultat est prodigieux. À plus forte raison lorsqu’on sait dans quelles conditions les trois artistes ont donné naissance à leur œuvre : pour que tout un chacun puisse jouir du spectacle confortablement installé, au chaud, dans une salle de cinéma, ils ont photographié, filmé, écrit au cœur d’un froid glacial (-30 °C), à quelque 5000 mètres d’altitude. Ils ont bravé bien des dangers. Non pas pour ensuite pouvoir s’en prévaloir – la vanité n’est pas leur affaire –, mais pour s’extasier, s’émerveiller, émerveiller, égayer. Cela dit, cette ode à la joie n’est pas du goût de tout le monde. Tesson écrit, dans son livre : « Des esprits monotones reprochaient à notre ami de saluer la beauté pure, et elle seule. C'était considéré comme un crime dans une époque d'angoisse et de moralité. ‘’Et le message ?’’ lui disait-on, ‘’et la fonte des glaces ?’’. ‘’On m'en veut d'esthétiser le monde animal, se défendait-il. Mais il y a suffisamment de témoins du désastre ! Je traque la beauté, je lui rends mes devoirs. C'est ma manière de la défendre.’’ »
L’affût : c’est un concept central dans le livre de Tesson. Un leitmotiv. L’écrivain le définit ainsi : « Un art fragile et raffiné consistant à se camoufler dans la nature pour attendre une bête dont rien ne garantit la venue. » L’affût, un art donc. Et une science, un remède : « Cette science de l'affût à laquelle m'avait initié Munier était l'antidote à l'épilepsie de mon époque », lance Tesson. Toujours lui, mais dans le film cette fois, et par le procédé de la voix off : « Munier avait fait de l’affût une esthétique en même temps qu’une philosophie. Il m’avait invité à l’accompagner au Tibet à la poursuite d’un être que je croyais disparu : la panthère des neiges. »
Munier l’avait dit à Tesson : tous les animaux qu’ils verront, ce sont des cadeaux, mais la panthère des neiges, c’est le Graal. Et le voilà qui arrive enfin, le Graal : les innombrables heures d’affût sont récompensées. « Ce fut une apparition religieuse, écrit Tesson. Aujourd'hui, le souvenir de cette vision revêt en moi un caractère sacré. » On le voit : les mots sont forts. À l’image de l’expérience vécue. Elle constitue, pour Tesson, un changement de paradigme, ou une conversion, pour rester dans le registre religieux. L’écrivain-voyageur découvre une nouvelle façon de voir, de vivre, d’être, qu’il adopte. Munier, lui, n’a fait aucun prosélytisme : il s’est contenté d’être lui-même. Son exemple a frappé Tesson. Il l’a édifié. L’écrivain-voyageur, songeant à l’avenir, fait une promesse :
« Je me jurais, une fois rentré en France, de continuer à pratiquer l'affût. Nul besoin de se trouver à 5000 mètres dans l'Himalaya. La grandeur de cet exercice partout praticable était de toujours procurer ce qu'on exigeait de lui. À la fenêtre de sa chambre, sur la terrasse d'un restaurant, dans une forêt ou sur le bord de l'eau, en société ou seul sur un banc, il suffisait d'écarquiller les yeux et d'attendre que quelque chose surgisse. On ne l'aurait jamais noté si l'on ne s'était pas maintenu aux aguets. Et si rien n'arrivait, la qualité du temps passé s'était trouvée accrue par l'attention portée. L'affût était un mode opératoire. Il fallait en faire un style de vie. »
Derrière la promesse de Tesson, on peut distinguer un espoir : que d’autres adoptent ce style de vie lumineux, celui de l’affût. L’action conjuguée des photos de Vincent Munier, de l’œuvre cinématographique de Marie Amiguet et du récit de Sylvain Tesson pourrait bien faire mouche.
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